Vérifaction et perception
03/06/13 09:02 Rubrique : Interventions
Le mardi 4 juin à
17h30 en salle U/V, nous retrouverons Martin Fortier qui nous présentera les fruits de son travail sur les hallucinations perceptives. Voici le résumé de son intervention :Martin Fortier
« Vérifaction et perception »
Rendre compte des ‘visions surnaturelles’ à l’aide d’une
théorie quadripolaire de l’expérience visuelle
« En nous fondant ici et là sur des cas concrets empruntés à l’anthropologie de la religion, nous essaierons de remplir les quatre objectifs théoriques suivants :
Objectif n°1
Nous voudrions construire une théorie de l’expérience visuelle qui permette d’exprimer beaucoup plus de nuances que ne le peut la théorie dominante de l’expérience visuelle qu’est la théorie bipolaire. Selon la théorie bipolaire, l’expérience visuelle peut être soit vraie (= perception) soit fausse (= hallucination) ; en outre, selon cette théorie, l’axe de la vérité et de la fausseté est bivalent : 0 (= la fausseté) et 1 (= la vérité).
Nous voudrions proposer une théorie quadripolaire selon laquelle l’expérience visuelle peut être soit hyper-épistémique (= intersubjective, lucide, écologiquement valide) soit oligo-épistémique (= subjective, trompeuse, écologiquement invalide), et, soit hallucinatoire (= impossible établissement d’un vérifacteur du contenu visuel) soit perceptive (= établissement avéré d’un vérifacteur du contenu visuel). Dans cette théorie quadripolaire, l’axe horizontal (hallucination/perception) est bivalent : 0 (= hallucination) et 1 (= perception) ; en revanche, l’axe vertical (oligo-épistémie/hyper-épistémie) est multivalent : 0 (= l’oligo-épistémie) < … < 1 (= l’hyper-épistémie).
Objectif n°2
Les théories de la perception habituellement discutées semblent tout à fait incapables de rendre compte du contenu des expériences visuelles surnaturelles. Dire cela ne nous engage nullement quant à l’existence ou pas d’entités surnaturelles : nous parlons ici seulement du contenu de ce type d’expérience. Notre ambition est d’élaborer une théorie de l’expérience visuelle qui fasse justice au fait que les sujets qui ont des expériences visuelles surnaturelles disent voir des entités surnaturelles appartenant non pas au monde ordinaire mais à un monde-autre. C’est ce que manquent les théories classiques de la perception : elles font comme si le contenu consistant dans la vision d’un dragon situé dans un monde-autre avait les mêmes conditions de vérité qu’un contenu consistant dans la vision d’un dragon situé au coin de la rue ; elles font comme si la première expérience visuelle était réductible à la dernière. Si un sujet a l’expérience visuelle d’un dragon situé dans un monde-autre, ce n’est pas en constatant qu’il n’y a pas de dragon au coin de la rue (dans notre monde ordinaire) que l’on aura établi que cette expérience visuelle est une hallucination ; faire la preuve d’une telle chose exigerait de prouver qu’il n’y a pas de dragon dans ce putatif monde-autre. Les théories classiques n’ont jamais vraiment affronté – et encore moins résolu – ce problème. En plus de proposer une théorie quadripolaire de l’expérience visuelle, nous voudrions donc proposer une théorie qui fasse justice au contenu intentionnel des expériences visuelles surnaturelles et qui établisse de façon systématique et minutieuse les conditions de vérité et de fausseté de tels contenus – cela exigera de prendre en compte la diversité mondaine du contenu des expériences visuelles.
Objectif n°3
Beaucoup de philosophes ont réfléchi aux liens entre l’image du monde naturel (ou surnaturel) et celle du monde quotidien. C’est ainsi que Wittgenstein peut par exemple opposer l’ordinaire et le métaphysique ou que Sellars peut par exemple opposer l’image manifeste et l’image scientifique. De façon générale, on admet le plus souvent les égalités et l’inégalité qui suivent : « (visible = ordinaire = naïf = présentation = monde quotidien) ≠ (invisible = extraordinaire = non-naïf = représentation = monde scientifique ou monde surnaturel) ». L’un des enjeux de notre propos est d’abord de montrer que toutes ces équivalences ne tiennent guère tant elles rendent confuses des notions pourtant distinctes, et ensuite de soutenir qu’une classification satisfaisante des choses requiert de recourir non pas à deux classes, mais bien à une multitude de classes qui permette ainsi de rompre avec les bipartitions dont nous sommes malheureusement trop coutumiers.
Objectif n°4
Nous voudrions enfin construire une théorie de l’expérience visuelle qui offre une épistémologie de la vérifaction. On parle d’ordinaire de la vérifaction en adoptant le point de vue de Dieu : « le chat est sur le paillasson » est une proposition qui est rendue vraie par le fait que le chat est sur le paillasson. Une épistémologie de la vérifaction se posera la question des mécanismes concrets qui permettent d’établir que le chat est sur le paillasson et subséquemment que la proposition « le chat est sur le paillasson » est vraie.
Habituellement, la philosophie de la perception s’intéresse surtout à ce que c’est que de percevoir ou que d’halluciner une pomme posée sur une table. Une théorie de l’expérience visuelle digne de ce nom doit à notre sens livrer en sus des indications quant au processus qui permet d’établir qu’il y a bien une pomme sur la table et que donc le contenu visuel représentant la pomme est rendu vrai par la présence de cette pomme. »
Les enregistrements de la dernière séance sont disponibles en téléchargement dans la section Séances, et en streaming ci-dessous.
Alexandre Couture, « Le monisme neutre »
Enregistrement de l’exposé
Enregistrement de la discussion
blog comments powered by Disqus